La puissance de nos glaciers
La fascinante vie souterraine des centrales hydroélectriques
Les glaciers ont toujours suscité de l’émotion, que ce soit l’émerveillement des premiers touristes, l’épouvante des habitants lors du petit âge glaciaire, ou l’inquiétude de les voir disparaître avec le réchauffement climatique.
"Jadis, les gens étaient inquiets parce que les glaciers avançaient au point de détruire les villages. Aujourd’hui on s’inquiète parce qu’ils disparaissent." Luc Moreau, glaciologue
Dans le massif du Mont-Blanc, les glaciers font partie d’un immense terrain de jeu, foulé chaque année par des centaines de milliers de skieurs et d'alpinistes. Mais ces glaciers représentent également un château d'eau grandeur nature ! Cette ressource si précieuse qui se libère des glaciers au printemps prend parfois un chemin détourné avant de rejoindre le Rhône!
Emosson SA : une énergie propre et renouvelable que se partagent la France et la Suisse
A quelques kilomètres à vol d’oiseau de la Vallée de Chamonix, à une altitude de 2 000 mètres, se trouve le magnifique barrage d’Emosson. On l'aperçoit distinctement depuis plusieurs endroits de la vallée et on ne se lasse pas de visiter ce site majestueux qui offre de nombreuses possibilités de randonnée.
Le complexe hydroélectrique binational d’Emosson naît d'une entente transfrontalière franco-suisse; il fut construit entre 1967 et 1975 au Col de la Gueulaz, sur la commune de Finhaut. Deuxième plus grand barrage de Suisse, il est de type voûte à vocation hydroélectrique. Son mur mesure 180 mètres de haut et son couronnement 554 mètres de long. Sa superficie est de 3,27 km2, pour une profondeur maximale de 161 mètres.
Dans l’immensité bleu turquoise du lac, les eaux du Massif du Mont-Blanc et des Aiguilles Rouges se mélangent aux eaux suisses du Val Ferret ; lorsque le réservoir est plein, il contient 225 millions de m3 d’eau. En effet, il est alimenté par un vaste réseau d’adductions qui collecte les eaux sur une zone de 176km2 pour remplir le lac d’Emosson.
Les glaciers d’Argentière et du Tour sont les plus gros fournisseurs en énergie du barrage d’Emosson
Une belle promenade estivale depuis Argentière nous mène au Point de Vue, un site magnifique en rive gauche du glacier d’Argentière où séracs de glace et cascades subliment le décor. On peut remarquer une entrée de tunnel, mais on est loin d’imaginer que sous ce glacier se trouvent des infrastructures dignes d’un film de James Bond. Sur trois niveaux, plus de 7 km de larges galeries sillonnent le terrain subglaciaire. Il y a d'innombrables marches, des monte-charges, des salles de repos... et des bicyclettes pour se déplacer. Cet incroyable réseau souterrain est parcouru par 15 techniciens d’Emosson SA, spécialistes de l’hydrologie, qui veillent au bon fonctionnement et à la sécurité de ce complexe invisible.
Construit en même temps que le barrage d’Emosson, l’aménagement sous le glacier d’Argentière est unique. Il permet de récupérer les eaux de ruissellement et de fonte du glacier à l’aide d’une quarantaine de puits forés dans le rocher au niveau de l’interface roche/glace. Entre mai et novembre, à plus de 2000m d’altitude, sous 65m de glace, les eaux sont collectées, filtrées, et ensuite acheminées par gravité vers le barrage d’Emosson suivant une galerie de 8.5 km de long.
Sur cette même période, de mai à novembre, les eaux du glacier du Tour sont captées par écoulement et rejoignent ensuite les eaux d’Argentière dans le collecteur Sud, avant de franchir la vallée du Trient en direction d’Emosson.
100 millions de m3 provenant de ces deux glaciers sont acheminés vers le barrage chaque année.
Le complexe d'Emosson se trouve sur 2 territoires.
La force hydraulique est mise en valeur dans deux centrales hydroélectriques. L’usine de Vallorcine (photo) située dans la vallée de Chamonix constitue le premier palier. Cette centrale abrite également deux pompes de 80 MW pour faire remonter l’eau jusqu'au lac d’Emosson. L’eau est ensuite turbinée à l’usine de La Bâtiaz, à Martigny en Suisse, à environ 470 m d’altitude.
Quelques 850 millions de kWh sont injectés annuellement sur le réseau très haute tension. La distribution de l’énergie à hauteur de 50/50 se fait par ALPIQ pour la Suisse et par EDF pour la France.
Le glacier d’Argentière – un laboratoire pour le CNRS
Nous savons que les glaciers méritent une attention particulière en climatologie car ils sont de remarquables indicateurs des changements climatiques. Selon Bruno Boulicaut, directeur d’Emosson SA, le glacier d’Argentière est le glacier le plus instrumenté et suivi du monde car il est l’un des seuls glaciers à pouvoir être étudié en surface et par en-dessous.
Depuis 1987, le glaciologue chamoniard Luc Moreau se spécialise dans l'hydrologie sous-glaciaire reliée au glissement des glaciers. En partenariat avec Emosson SA et l'Institut des Géosciences de l'Environnement (IGE) de Grenoble, Luc scrute la dynamique du glacier d’Argentière depuis plus de 30 ans à l’aide d’un cavitomètre (sorte de roue de vélo installée sous le glacier qui mesure son avancée 24 heures sur 24).
Pour comprendre la vie complexe de ce géant de 19 km2, deuxième plus grand glacier français après la Mer de Glace, les chercheurs du CNRS appliquent divers procédés de mesure leur permettant de mettre le glacier « sur écoute », aussi bien à sa surface qu’en dessous. Les résultats de ces recherches apportent une meilleure compréhension des comportements des calottes glaciaires.
La Mer de Glace et la Centrale des Bois
La Mer de Glace c’est un site touristique de renommée mondiale, c’est la Vallée Blanche à ski, c’est le train à crémaillère du Montenvers, mais encore…
Combien de personnes savent que sous la Mer de Glace, à Chamonix, se cache une centrale hydroélectrique ?
Encore un aménagement insolite, puisque depuis 1973, EDF récupère l'eau directement sous le glacier de la Mer de Glace pour produire de l'énergie ! La centrale fonctionne d'avril à décembre, et produit 115 millions de kWh, l'équivalent de la consommation d'électricité annuelle de 50 000 personnes.
Vu de l'extérieur, rien ne laisse deviner la gigantesque installation cachée dans la falaise. Une seule voie mène aux installations, le téléphérique qui monte à flanc de montagne depuis la vallée de Chamonix jusqu’à 1 415 mètres d’altitude.
Là, un sombre tunnel s’enfonce dans la roche sur une distance d'un kilomètre. À mi-chemin, un refuge permet de se réchauffer, et pourrait accueillir quelques personnes pendant plusieurs jours si un événement ou des conditions climatiques défavorables les empêchaient de reprendre le téléphérique. Le tunnel débouche finalement sur un escalier très raide de 320 marches sur l’équivalent de 25 étages. La sécurité impose de s’accrocher à une ligne de vie. Depuis le sommet de l'escalier, il reste quelques centaines de mètres à parcourir pour atteindre le captage sous-glaciaire, situé à 1560 mètres d’altitude. Une grotte artificielle, creusée dans une glace aux reflets bleutés, abrite la prise d’eau. Un puissant torrent s’engouffre dans un puits blindé vers les profondeurs. L’eau va parcourir une galerie de 2 kilomètres, puis se jeter dans un puits de 291 mètres pour enfin atteindre la centrale hydroélectrique.
Enfouie aux Bois, près de Chamonix, elle s’articule autour d’une turbine Pelton de 42 MW. En période de pleine production, elle reçoit 15 m3 d’eau par seconde à 30 bars de pression. Chaque année, la turbine doit être changée. L’eau qui l’alimente est chargée de "farine glacière" ; celle-ci est générée par l’érosion de la roche par la glace et grêle de trous la lourde pièce de métal.
Les autres centrales hydroélectriques dans la Vallée de Chamonix
La collectivité de la Vallée de Chamonix fait preuve d'engagement en faveur de la transition et de l'autonomie énergétique. Plusieurs centrales hydroélectriques installées sur les torrents de la vallée viennent compléter celles des Bois et d'Emosson.
-Montvauthier: 50 millons kWh
-Taconnaz: 3 millions kWh
-Les Nants: 1,9 million kWh
-Servoz: 1,1 million kWh
Le projet de la centrale du Bourgeat est en cours de réalisation. Elle devrait être mise en service à l’automne 2022 pour une production de 3 millions de kWh. D’autres projets sont à l’étude.
Qu’en est-il du réchauffement climatique ?
Gare aux eaux !
Les panneaux d’avertissement le long des berges de certains cours d’eaux mettent en garde ceux qui s’aventurent dans les lits des rivières contre de soudaines montées du niveau d’eau. En effet, les rivières situées en aval des prises d’eau peuvent présenter d’importants dangers. De grandes quantités d’eau sont susceptibles de se déverser brusquement dans le lit des rivières lors des purges des bassins d’accumulation ou le nettoyage des installations (décantation des désableurs pour vider la farine de silice).
Lors des périodes de forte chaleur, les quantités d’eau de fonte des glaciers dépassent largement la capacité des conduites artificielles, d’où les déversements qui font gonfler nos rivières et qui produisent des cascades éphémères. La fonte accélérée des glaciers (ainsi que les risques associés) va continuer pendant quelques décennies.
La fonte des glaciers menace les installations
Les glaciers reculent de manière inéluctable et certains points de captage sous-glaciaires se retrouvent à l’air libre, exposés au risque de chutes de pierres susceptibles de boucher les ouvertures. C’est le cas pour les installations de la Mer de Glace, qui ont déjà nécessité 30 millions d’euros d’investissements en 2011. Au rythme actuel de fonte, de nouveaux travaux devront bientôt être anticipés.
Développer la gestion des eaux - une solution d'avenir
Les infrastructures hydroélectriques telles que le barrage d’Emosson permettent de répondre en partie à l’évolution des besoins en eau liés au changement climatique : rétention des crues, irrigation en cas de sècheresse, gestion de l’eau potable…L'hydroélectricité est une énergie tournée vers l'avenir, essentielle à la transition énergétique actuelle, et représente une solution pérenne permettant de sortir des énergies carbones.
Remerciements:
Bruno BOULICAUT, Directeur Electricité d'Emosson SA / Anne-Laure PAYET-FAVRE, coordinatrice administration & qualité
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